jeudi 16 novembre 2006

Petit creux

On était un dimanche, le premier jour de la neige comme il dit.
Dans ce lit de douleur attendant ma délivrance, je regardais par la fenêtre et je voyais ces flocons tomber insouciants.
La douleur perçait mes reins mon ventre mes chairs jusqu'à me rendre folle.
"Pas de péridurale Madame, je tiens pas à faire les gros titres dans le journal demain". L'anesthésiste me lâche cette phrase d'un air ni désolé ni compatissant
Vous faites un faux travail depuis 2 jours, le bébé a pas l'air décidé à sortir, mais va falloir attendre, on sait pas ce que vous avez donc en attendant serrez les dents et les fesses.
Le gyné arrive, petit bonhomme serein. C'est pas pour tout de suite ma fille, je pars déjeuner et reviens plus tard.
De la douleur, de l'incompréhension, de la retenue, de la diplomatie aussi pour rassurer un mari qui ne sait pas comment arrêter le calvaire et veut tuer le doc qui n'a pas l'air décidé à m'aider.
Il m'a fallu tout ça en une après midi par un dimanche de décembre.
Vers la fin, entre deux évanouissements et deux délires je me disais, mais qu'on me le sorte ce mioche, limite j'en veux plus, faites quelque chose.
Et on l'a fait sortir. Il a poussé les portes de la vie malgré tout, confiant. On l'a posé sur mon ventre. Poisseux, bleu, hurlant, ereinté d'un si long voyage.
Je l'ai serré dans mes bras, je lui ai dit que j'avais surement dû le maudire mais que maintenant qu'il était là, nous deux c'était pour la vie.
Je l'ai humé, caressé, touché. J'ai effleuré de mon index son petit creux dans la nuque, cet espace de douceur, ce velours d'innocence, ce carré de peau.
Je lui ai promis en regards que la souffrance était un état que jamais il ne visiterait.
Nous avons eu un parcours plus dur que celui que l'on croyait. Bien des fois je me suis dit que j'y arriverais pas.
Et pourtant il est là. Neuf ans que nous faisons vie commune. Neuf ans de surprise et d'émerveillement. Neuf ans à me dire que jamais j'aurais cru que la vie pourrait me faire un tel cadeau.
Des bas qui s'installent, un quotidien qui décline et deux grands yeux bleus que tout illumine.
Trop fade, trop grosse, trop laide, trop deprimée, trop seule, trop détruite; et un regard, sans jugement et un mot: maman
Tout repart, je peux être ce que je hais le plus, lui il m'aime, il exige tout et rien à la fois.
Il m'a fait renaître.
Je t'aime.

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