Elle était rouge et brillante, petite mais pimpante
elle focalisait ton regard, me permettait presque d'y croire
tu me vantais ses mérites, sa sportive conduite
sa médaille de voiture de l'année, ton prochain achat m'as tu assuré
entre deux qualités moteur, je guettais un signe ou des pleurs
un truc me permettant de deviner, que tu connaissais ta destinée
on a parlé des heures durant, plus que quand on était enfants
des banalités, et du beau temps, de mon petiot et de ses progrès attendrissants
pas une fois ton regard ne m'a fui, comme si tu t'étais juré de m'offrir l'oubli
de cette fin certaine qui te guettait, de cette maladie qui te rongeait
on mangeait bien en clinique, les infirmières étaient même chics
le traitement pas trop contraignant, les autres patients pas trop chiants
et moi je me mourais à petits feux, de te savoir bientôt emporté aux cieux
sans que je puisse demander une trève, un délai ou à tes veines un supplément de sève
de ces mois de trajets en train, harassants et quasi quotidiens
j'en garde des souvenirs douloureux, des kilomètres anxieux
dans mes bras mon tout petit, mon premier fils, celui que j'avais choisi
de t'offrir comme filleul comme on offre un sacrifice, à un dieu que l'on prie instament d'arrêter ses caprices
hélas le baptême a eu lieu trop tard, tu n'as été parrain que dans les regards
la maladie était pressée résolument, de t'envoyer te reposer au firmament
perdre ses parents c'est être orphelin, veuf est celui qui a vu partir son conjoint
mais quel mot mettre sur cette douleur creuse, la mort d'un frère emporté par la grande faucheuse
tu as toujours été mon idole, celui que l'on imagine paré d'auréole
celui que même la réalité n'a pas terni, celui qui malgré l'éloignement m'a tant appris
un poète l'a dit bien mieux que moi, mais ça reflète encore mon désarroi
"Que les étoiles se retirent, qu'on les balaye Démontez la lune, et le soleil
Videz l'océan, arrachez la forêt Car rien de bon ne peut advenir desormais "
Depuis tant d'années je garde, précieusement toutes ces larmes
pas une seule fois j'ai visité ta tombe, je refuse de me recueillir sur une ombre
ton rire, tes yeux et ta génerosité, restent profonds, sans la nécessité
de te fleurir un certain 1er novembre, comme annuellement on dépoussière une chambre
une fois de plus on m'a pas compris, j'ai toujours tu, jamais j'ai dit
le vide, la tristesse et le déchirement on assimile à de l'indifférence cette absence de recueillement
je crois pas aux mots sourds, qu'un prêtre lance comme du haut d'une tour
j'adhère pas à l'idée que tu me tiennes rigueur, que tous les ans, je refuse ce commerce de fleurs
je refuse les mots incongrus, que m'ont jetté des psys et autres intrus
que tu étais sûrement mieux ailleurs, qu'ainsi t'oubliais tes douleurs
c'est égoïste assurément, mais imaginer ne fut ce qu'un instant
que t'as troqué notre amour contre un quelconque ministère à droite du grand dirigeant, me sidère
J'ai toujours au fond d'une armoire, un sac plastique avec un carnet noir
ainsi que le pyjama bleu que tu portais, des trésors de larmes que je n'explorerais sûrement jamais
Depuis les rires ont été reappris, faut dire que mes gars s'en chargent comme d'un défi
ma vie a continué de passer, mon parcours t'a sûrement étonné
Mais si depuis ta belle chambre, avec vue sur le soleil de ce mois de décembre
tu peux apercevoir ces quelques mots, reçois toute ma tendresse, mon beau frérot