mercredi 6 décembre 2006

Voyage

On était en juillet, l'été battait son plein, le train était bondé.
Le contrôleur crie soudain: "prochain arrêt: BledPerdu"!

Son coeur bat la chamade, elle se demande à quoi va ressembler ce lieu, objet d'encore un déménagement, sûrement le 10 ème alors qu'elle n'a que 18 ans.
Main dans la main avec son amoureux de l'époque (un petit con entre parenthèses),
elle descend du train vers sa nouvelle vie.
Et là désolation et vide alentour. En face de la gare, un immeuble désafecté avec une pancarte "ne pas entrer, danger", des champs à perte de vue et des vaches qui se tiennent là tranquilles comme si rien, même pas un train, ne pouvait leur gâcher la journée.
Elle qui n'a jamais habité qu'en métropole, croit halluciner.
Pincez moi, c'est pas ici que je vais vivre le mois prochain??
Ignorant délibérement la pancarte "BledPerdu" sur le mur, elle s'en va s'enquérir auprès du chef de gare.
"Excusez moi monsieur, nous voulions aller à BledPerdu".
"Mais vous y êtes"!
"Ah...et y a autre chose à voir, ou tout est là"??
"Ah mais en fait, faut attendre le car, il va vous conduire au centre ville".
Ouf nous voilà rassurés.
On attend et finalement le "car" arrive.
Disons plutôt le bus, non la navette, non la voiturette playmobil.
Jaune pétant, de la place pour 8, chauffeur compris.
Billet gratuit.
Il se met en marche, traverse champs, vaches et corbeaux.
Et finalement nous arrivons au "centre ville".
Une place avec des cafés autour et une grande surface.
Zen...
Bon bah on a la journée devant nous, après tout on vennait faire du tourisme, connaître les lieux avant de déménager. Donc touristons.
Assis dans un café, un chocolat devant nous, on se demande dans quel pays on a débarqué.
5000 habitants pour ce que l'on apelle le Grand "BledPerdu" à savoir le village où on se trouve et puis les communes avoisinantes, certaines peuplées de quelques 80 âmes.
On est loin de la capitale...

Et puis vient le déménagement, on emballe cartons et meubles, on fait ses adieux, déchirants évidemment, on se promet tout un tas de choses que l'on ne tiendra jamais.
Le grand jour arrive, lui même suivi du jour de la rentrée.
Nouvelle école, nouveaux visages, nouvelles habitudes et encore un village à apprendre à connaître, situé à 30 kilomètres de la maison.
Evidemment, faut y aller en car-bus, sauf que cette fois il y a de la place pour au moins 50 personnes, sauf qu'on est 125...
Et il faut repérer l'endroit, ne pas louper l'arrêt, essayer de trouver ses repères etc etc

Les mois suivent leurs cours, on jette un amoureux, on en reprend un autre,
celui là même qui m'accompagne encore aujourd'hui.
Et les vaches, les moutons, les champs et les corbeaux sont toujours à la même place.

Quand elle va en métropole elle en a le tournis, y a trop de monde mais pas assez de vaches.
En automne, les forêts se parent de leurs plus beaux habits pour l'impressionner, en hiver elle est réveillée par les cris des enfants dévalant les pentes enneigées, en été les petits jouent dans les rues jusque tard le soir avec leurs parents et au printemps ce sont des promenades dans les bois pour aller cueillir des fleurs.

Cette région a su l'apprivoiser, elle se surprend à espérer d'y passer ses vieux jours, elle veut des enfants pour rouler à vélo sans craintes et cueillir des fleurs et reconnaître les cris des oiseaux.

ça fait 16 ans qu'elle y habite, elle conçoit mal d'aller ailleurs.
Elle peut presque dire "chez nous" quand elle parle avec un autochtone.
Ses enfants sont nés là, ils connaissent plus de noms d'oiseaux qu'elle même n'en a jamais appris.

En hiver ils rentrent le soir avec les joues rouges d'avoir trop joué dans la neige et la saison ne se passe pas sans qu'elle n'ait reçu une boule de neige en pleine tête.
En été, ils reviennent avec des habits qui ne leur appartiennent pas car ils ont passé l'après midi à la rivière.
Au printemps, ce sont des longues randonnées dans les bois d'où ils reviennent des bouquets plein les mains et des sourires plein le coeur.
En automne, on écoute le brâme du cerf en le dévisageant à 10 mètres et on ramène plein les poches des glands et des feuilles d'arbres, jaunies et gorgées de soleil.

Le cinéma est à 30 kilomètres, les cigarettes achetées en soirée faut oublier.
La clinique la plus proche est à 40 minutes de route, les expos et les concert sont d'autant de raisons de partir en voyage.

Mais c'est sûrement ici qu'elle finira ses jours aussi longtemps que les rires des enfants, lui feront oublier tous ses mauvais printemps.

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